Prologue
Pour l’honneur, la gloire et la louange du sauveur et rédempteur Jésus et de sa très sainte et fructueuse Passion, laquelle (pour nous remettre en possession de notre ancien héritage dont nous avions été privés par la faute de nos premiers parents à la suite du conseil du serpent plein de fausseté, l’ennemi implacable de toute la descendance des hommes) il a voulu de son plein gré, librement et volontairement en se livrant à la mort (comme l’agneau au sacrifice) ignominieusement et plus cruellement que quelque autre que ce soit supporter et endurer, et pour engager les Chrétiens dévots à se remémorer sa dite Passion et conséquemment à entreprendre le voyage et les visiter aux Lieux Saints qu’il a voulu choisir afin de racheter et de réparer l’offense dessus dite, désirant célébrer et exalter, par force conseils et recommandations le saint et salutaire voyage et pèlerinage à la sainte cité de Jérusalem, voulant aussi (pour faire bref) démontrer avec clarté, sous forme de lecture, les grandeurs, prééminences, dignités, fruits récoltés, utilités dudit saint voyage, j’ai la volonté de recourir à une méthode et à une façon de faire telles que les cœurs des dévots Chrétiens animés de dévotion pour ledit saint pèlerinage puissent, avec l’aide de Dieu, suivre leur dévote inclination et leur désir, les poussant à entreprendre ledit saint voyage.
Et parce que l’on ose entreprendre avec plus de facilité et avec moins de crainte les choses sur lesquelles on possède quelque certitude ou information, soit par expérience personnelle, soit d’après la relation qui en a été faite par autrui, et également parce que les choses du tout au tout inconnues semblent impossibles ou au moins plus extraordinaires qu’elles ne le sont, j’ai bien voulu (en mettant au service de cette entreprise mon faible quoique pesant travail et pouvoir), en guise d’avertissement aux dévots pèlerins chrétiens qui désirent accomplir ledit saint voyage de Jérusalem des lieux dangereux et autres risques qui peuvent se rencontrer durant ledit voyage tant à cause de la grande [2 v.] et longue distance de la route par mer et par terre, des peuples dont la langue et les mœurs sont différents des nôtres, qu’à cause du danger encouru du fait des Turcs, les ennemis de notre sainte religion catholique, et des chemins, lieux et endroits empruntés, en même temps que de la diversité des pays qu’il faut traverser, mettre et rédiger brièvement par écrit, non pas à la façon d’une œuvre topographique ou de toute autre description artistiquement composée, mais simplement et de la façon dont les choses se sont présentées et comme elles ont apparu à mon simple et brut entendement pendant ledit voyage fait et accompli par moi ci-dessus nommé, sans toutefois vouloir reprocher à tant de gens savants et doctes qui auparavant se sont entremis (avec l’aide de Dieu) d’accomplir cedit saint voyage, d’avoir omis beaucoup de choses dignes de narration pour peu qu’ils en aient eu l’étalage sous leurs yeux. Toujours est-il qu’à ma façon d’écrire grossière et sans apprêt, j’ai rédigé le soir et consigné par écrit ce que le jour j’avais vu digne d’être rapporté, en tenant loyalement le journal des choses ci-dessus dites énumérées sans rien y ajouter ou omettre quoi que ce soit de la vérité, telle que de mes propres yeux je pouvais en avoir connaissance, en commençant ledit voyage depuis la ville de Saint-Nicolas[2] en Lorraine, jusqu’audit lieu de Jérusalem, tant à l’aller qu’au retour, jusqu’à la noble, opulente et puissante cité de Venise, priant tous ceux qui voudront bien lire ce présent petit traité et y poser le regard, de porter davantage d’intérêt à la vérité et à la simple narration du fait qu’à sa brute composition.